Conte de Marie-José Gargouil-Ferré
(Ce texte est la propriété de son auteur qui accorde à la bibliothèque de Parcoul le droit de le diffuser.)
Cette nuit-là, c’était la nuit de Noël. Une belle nuit calme, froide, étoilée. Une nuit brillant de mille feux.
Dans le salon, un sapin étincelant se dressait majestueux. Des guirlandes décoraient les murs et le plafond.
Peints sur les vitres, des personnages de couleurs : bonshommes de neige, lapins, biches, lutins…semblaient s’agiter au rythme de la guirlande clignotante suspendue dans l’arbre de Noël.
La salle à manger était vide. On avait débarrassé le couvert. Sur la nappe blanche tachée, restaient des parts de bûche disposées sur un plat et un fond de bouteille de vin mousseux.
La famille était couchée. Papa et Maman dormaient déjà, fatigués par cette bonne soirée. Mais Vicky, dans sa jolie chambre bleue, pleine de jeux et de livres, se tournait et se retournait dans son lit. Elle était très énervée. Forcément, vous pensez ! Le Père Noël allait passer cette nuit. Il lui apporterait les cadeaux tant désirés : une poupée capable de rire et pleurer, une mallette pleine de crayons à maquillage et d’accessoires de déguisements et un nouveau jeu pour sa console. Peut-être recevrait-elle des cadeaux supplémentaires. Le Père Noël aimait bien ajouter quelques surprises.
Si seulement il arrivait pendant qu’elle était éveillée. Vicky pourrait essayer de l’apercevoir ! En principe, on ne peut pas voir le Père Noël, mais en étant très discrète, il était possible de réussir à le surprendre.
Un craquement se produisit à l’extérieur de la chambre. Puis un autre. Vicky se dressa sur son lit. L’oreille attentive. Encore un nouveau craquement. Quelqu’un marchait dans le couloir. Ce n’était pas Maman. Elle était trop légère et ne faisait jamais rien craquer lorsqu’elle passait. Ce n’était pas Papa que Vicky entendait ronfler à travers la cloison. Non. C’était forcément quelqu’un d’autre !
Vicky retint son souffle. Le cœur battant, ravie, émerveillée. Elle allait tenter de surprendre le Père Noël !
Soudain, au lieu de continuer vers le salon où se trouvait le sapin, les pas s’arrêtèrent devant la porte de la chambre de la fillette. Elle s’allongea bien vite. Le Père Noël voulait-il s’assurer qu’elle dormait ? Peut-être allait-il coller son oreille contre la porte pour écouter si elle respirait tranquillement. Comme une petite fille qui sommeille gentiment.
Et puis, la poignée tourna ! Vicky remonta la couette jusque sous son nez et ferma les yeux très fort. Elle retint sa respiration tout en pensant qu’elle avait tort de le faire. Quelqu’un qui dort n’arrête pas de respirer ! Cependant, c’était plus fort qu’elle. Elle se demandait combien de temps elle pourrait tenir ainsi, les poumons bloqués.
La porte s’ouvrit avec un léger couinement. On entrait dans la pièce. On s’approchait du lit ! Après tout, c’était l’occasion rêvée d’apercevoir le Père Noël ! Vicky se risqua à entrouvrir l’œil gauche. Très légèrement. Les doubles rideaux étaient tirés mais à la pâle lueur d’un réverbère de la rue, Vicky entrevit une grande forme qui lui parut verdâtre. C’est bizarre, pensa-t-elle, le Père Noël s’habille pourtant de rouge ? Elle écarta les paupières un tout petit peu plus. Il lui sembla distinguer une chevelure longue et brune. Etrange. Elle était persuadée que le Père Noël portait une barbe blanche.
Elle ne pourrait pas retenir sa respiration beaucoup plus longtemps. Pourquoi ne sortait-il pas de la chambre ? Elle allait devoir reprendre de l’air. Sans doute s’était-il déjà aperçu qu’elle ne dormait pas. La poitrine lui brûlait à présent. Elle devait reprendre son souffle. Vicky inspira brusquement tout en ouvrant les yeux.
Un cri s’échappa de sa gorge ! Face à elle, au pied du lit, se dressait un monstre abominable ! Enorme, vert, chevelu, poilu. De longs crocs luisants brillaient dans sa gueule à la clarté du lampadaire de la rue. Il tendait ses larges mains griffues vers Vicky !
-Oh ! La barbe ! s’écria la fillette.
-GRRR, GRRR ! fit le monstre, la gueule largement ouverte.
-Je me fiche de tes « grrr, grrr », répliqua Vicky. Tu n’es qu’un monstre moche et idiot qui m’empêche d’attendre le Père Noël.
-GRRR, GRRR ! fit le monstre encore plus menaçant.
-Mais arrête donc de grogner ! Tu vas réveiller mes parents !
-Tu n’as donc pas peur de moi ? s’étonna le monstre.
-Pourquoi donc ? Tu n’es rien qu’un monstre vert et poilu comme on en voit dans les livres !
-C’est quoi les livres ?
-Tu es vraiment sot ! Tu ne sais pas ce qu’est un livre ?
-Non, je ne sais. Je sais juste faire peur aux gens. GRRR, GRRR !
-Décidément, tu ne peux pas t’empêcher de grogner ! Arrête donc. Je vais te montrer des livres.
Vicky sortit de son lit et se dirigea à tâtons vers la bibliothèque. Dans la pénombre, elle heurta un coin de son bureau.
-Et le Père Noël ? demanda-t-elle en se frottant la hanche, je suis sûre que tu ne le connais pas non plus !
-Le Père Noël ? Je connais juste mon père qui est un monstre comme moi. Mais encore plus gros ! Qui est le Père Noël ?
-Je vais te montrer un livre qui parle de lui. Mais avant, allumons la lampe. On n’y voit rien ici !
Vicky appuya sur l’interrupteur et une lumière vive envahit la chambre. Le monstre sursauta.
-Mais quelles sont toutes ces choses autour de moi ? Je ne les voyais pas tout à l’heure ! Pourquoi tout n’est-il plus de la même couleur ?
-C’est à cause de la lumière. Avec la lumière, on voit mieux les objets et les couleurs. Tu ne connais donc pas la lumière ?
-Non. Chez moi, dans ma grotte, il fait très sombre. Je ne sors que la nuit pour faire peur aux gens. Je circule loin des lampadaires, dans les souterrains, dans les égouts, comme me le recommande mon père. C’est beau la lumière ! On ne voit pas les choses de la même façon ! s’extasia le monstre.
-Assieds-toi sur le lit, ordonna Vicky. Je vais te montrer un livre dans lequel tu vas voir le Père Noël. Pas le vrai bien sûr, mais un Père Noël quand même.
La petite fille s’installa sur la couette, près du monstre très intrigué. Elle ouvrit le livre et lui raconta l’histoire. Une belle histoire de Noël. Le monstre voulut l’entendre une seconde fois. Il admirait les images pleines de couleurs. Il caressait les pages de papier glacé et Vicky lui apprit à les tourner sans les abîmer.
Ensuite, il désira voir d’autres livres. La fillette lui montra des albums parlant d’animaux, d’enfants, de voyages. Et même une histoire de monstre ! Elle désignait chaque objet, chaque personnage avec son doigt pour que le monstre apprenne à les reconnaître.
-C’est merveilleux ! s’exclama-t-il. Jamais je n’aurais cru qu’il pouvait exister tant de choses dans les livres ! Comme j’aimerais vivre des histoires comme celles-là ! Malheureusement, je ne suis qu’un monstre. Je ne peux sortir de ma caverne que la nuit pour faire peur aux gens.
-Tu n’es pas obligé de faire peur aux gens. Tu pourrais t’occuper autrement. Dans les livres, on trouve toutes sortes de choses et d’idées intéressantes. Tu pourrais devenir très savant.
-Ça me plairait bien, déclara l’effrayant personnage. Mais comment pourrais-je faire ? Je n’ai pas de livre et ma grotte est trop sombre. Si j’en avais, de toute façon, je ne pourrais pas les regarder. Les belles images colorées deviendraient toute noires dans la nuit de ma caverne.
-Tu as raison, dit Vicky. Tu vois, tu n’es pas si bête que ça. Eh bien, j’ai une idée. Je vais t’offrir un beau livre. L’un des plus gros, dans lequel se trouvent plusieurs histoires très belles. Je vais aussi te donner une lampe de poche. La pile est neuve. Elle pourra t’éclairer très longtemps. Je vais te montrer comment ça fonctionne. C’est très simple. Comme ça, tu pourras lire dans ta caverne. Et même raconter des histoires à ton père ou à tes copains les autres monstres.
-Oh ! Merci, merci petite fille !
-Je m’appelle Vicky. Et toi ? N’as-tu pas de nom ?
-Un nom ? Non, je n’en ai pas. Je suis seulement un monstre.
-Puisque tu es vert, tu pourrais t’appeler Verdy. Ça te plaît ?
-Oui, ça me plaît ! Verdy, Vicky…ça se ressemble un peu, non ?
-C’est vrai ! Tu vois, tu commences à devenir savant !
Tous les deux se mirent à rire de bon cœur.
-Chut ! Il ne faudrait pas réveiller mes parents !
Vicky choisit un gros livre, tout plein de belles histoires en couleurs. Elle l’ouvrit et sur la première page, une page toute blanche, elle écrivit : « Pour mon ami Verdy ». Verdy prit le livre avec sa grosse main velue et de l’autre main caressa la tête de Vicky.
-N’oublie pas la lampe de poche et repasse me voir un de ces soirs, dit la fillette.
Le plus doucement possible, elle ouvrit la porte de la chambre. Le visiteur de la nuit se glissa dans le couloir. Comme une énorme ombre mouvante.
Vicky soupira. Quelle étrange nuit ! Elle se fourra sous la couette et éteignit la lampe de chevet. Les couleurs s’assombrirent. Les formes des objets devinrent confuses. Vicky s’étira dans le lit. Elle gardait les yeux ouverts. Elle n’avait pas sommeil. Toujours pas. Encore moins qu’avant l’arrivée du monstre.
Soudain, elle sursauta. Le Père Noël ! Elle l’avait presque oublié ! Il fallait qu’elle tente de le surprendre ! A pas de souris, Vicky sortit dans le couloir et se dirigea vers le salon sur la pointe des pieds. Son dos frôlait le mur.
Elle aperçut le sapin. Il lui sembla que quelque chose avait changé. Des formes bizarres s’appuyaient contre le tronc de l’arbre de Noël. La fillette alluma le lustre. Des cadeaux ! C’étaient des paquets cadeaux enrubannés de rouge ! Vicky se précipita vers le sapin en criant : « Papa ! Maman ! Le Père Noël est passé ! »
Ce n’était pas encore cette fois-ci que la fillette surprendrait le Père Noël ! Il était vraiment très malin !
Dans un coin perdu de la forêt, au fond d’une caverne, le monstre vert et velu venait d’ouvrir son livre. Verdy regardait les images à la clarté de sa lampe. Il souriait, découvrant ses énormes crocs. Mais il n’avait envie de mordre personne. Pas plus que de faire peur à quelqu’un. Il était heureux. Très heureux. Grâce à son livre et à sa lampe de poche. Ses tout premiers cadeaux.